Rédigé par Astrid Vauthier
Pour qu’un nouveau modèle physique soit admis comme étant valide il est indispensable qu’il soit pourvu d’une théorie solide, mais également de vérifications expérimentales corroborant cette théorie. Ainsi ces deux aspects de la physique sont étroitement liés. C’est pour cette raison que dans cette section nous présenterons des expériences attachées de près ou de loin à la théorie de Kaluza-Klein (KK).
Tout d’abord, on expliquera brièvement en quoi l’observation de dimensions supplémentaires est vraiment compliquée en laboratoire et pourquoi les tests expérimentaux d’une théorie sont souvent difficiles à réaliser.
Dans un second temps, on présentera un test expérimental de l’existence d’une cinquième dimension pour la gravité KK. Cette expérience, bien qu’assez ancienne (1999), fera la preuve qu’il est impossible de prouver, en laboratoire, l’existence d’une cinquième dimension.
Puis, on s’intéressera à la taille que pourrait avoir la cinquième dimension d’espace-temps de la théorie KK. Cette dimension étant enroulée sur elle-même, l’expérience aura pour but de trouver son rayon.
Enfin pour terminer, on s’intéressera à la matière noire. La théorie KK n’en est pas le point central, mais celle-ci propose des particules pouvant être candidates à la matière noire. Dans cette partie, on développera les différents types de recherches existants pour prouver l’existence d’une matière noire KK et l’on exposera certains résultats obtenus sur différentes expériences.
Dans le domaine des hautes énergies, les vérifications d’un modèle théorique sont toujours très longues et particulièrement ardues à obtenir. Il existe plusieurs explications à ce fait. Tout d’abord le prix exorbitant du matériel nécessaire. En effet, les accélérateurs de particules ou autres détecteurs sont des outils dont les constructions sont longues et coûteuses. De plus pour pouvoir obtenir des résultats exploitables, il est nécessaire de récolter énormément de données, ce processus prend également beaucoup de temps. En général, il n’est donc pas aisé de vérifier une théorie par l’expérience.
Il faut toutefois mettre en évidence que de telles vérifications expérimentales sont très difficiles à obtenir dans le cas de la théorie KK. En effet, les dimensions supplémentaires dont il est question ne peuvent être observées directement. En théorie ces dimensions sont enroulées sur elles-mêmes avec un diamètre de l’ordre de la longueur de Planck, à savoir m. Il faut donc contourner le fait que cet enroulement ne soit pas perceptible directement par le monde physique.
C’est ce que propose la première expérience que nous allons décrire.
Il serait intéressant d’expliquer, tout d’abord, quel est le but des expériences visant à confirmer des théories telles que celle de Kaluza-Klein. Dans la majeure partie des cas, on cherche à mettre en évidence l’existence des champs scalaires associés à la théorie. Il faut donc chercher des effets, qui sont visibles, dus à la présence de ces champs scalaires.
Dans le cas de théorie KK, le plus souvent on cherche à montrer que les changements de coordonnées dans la cinquième dimension d’espace-temps entrainent une modification du ratio charge électrique versus masse pour une particule élémentaire du modèle standard. Étant donné qu’aucune expérience n’a pu mettre en évidence un tel changement, on peut en déduire que l’effet d’un changement de coordonnées est vraiment faible.
C’est pourquoi en 1999, V. Dzhunushaliev et D. Singleton proposent une autre possibilité de test pour prouver l’existence de dimensions supérieures. L’idée se base sur deux postulats:
Selon le rapport des champs électrique et magnétique, il est possible d’obtenir différentes formes de flux (voir figure 13). Dans le cadre de cette expérience, on s’intéresse au cas où l’on forme un objet wormhole (WH). Pour un observateur, un tel objet apparait comme deux charges, appelées dyons (objets ayants une charges électrique et magnétique). Ces dernières devraient se trouver sur une surface représentant la frontière entre les régions à quatre et cinq dimensions.
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Pour pouvoir différencier ces deux charges, il faut que la force extérieure appliquée sur chaque charge soit plus forte que la force d’interaction entre ces deux (figure 14). Dans ce cas pour que les équations d’Einstein soient respectées, il faudrait que le champ électrique E soit de l’ordre de V/m, cette valeur n’est pas atteignable en laboratoire. Cependant bien que ces hypothèses nous montrent qu’une telle expérience ne peut être menée en laboratoire, cela ne signifie pas que l’on ne peut pas observer de tels objets. En effet, dans l’univers il se pourrait que ces objets existent grâce, par exemple, aux forts champs magnétiques qui entourent les étoiles à neutrons.
Il est intéressant de se demander quelle est la taille approximative d’une dimension enroulée sur elle-même dans un scénario Kaluza-Klein. Une expérience effectuée à Fermilab basée sur la recherche de graviton KK propose certains résultats.
L’expérience menée au Collider Detector de Fermilab dans le but de chercher de façon directe une production de graviton KK date du début des années 2000. Les données ont été récupérées lors de collisions protons – antiprotons à une énergie
TeV à une luminosité de 84 pb
. Ces données sont comparées à des scénarios KK de dimensions 3+1+n. n étant le nombre de dimensions supplémentaires et prenant la valeur 2, 4 ou 6.
Dans ce cadre, on suppose que le modèle standard est confiné dans un espace à trois dimensions lui-même imbriqué dans un volume de dimension supérieure. Ce volume est compacté. La gravité est la seule force à se propager dans tout le volume disponible. Le champ gravitationnel qui se propage peut être vu comme un ensemble d’états KK. Dans un modèle comme celui-ci on obtient une relation entre l’énergie de Planck dans l’espace à trois dimensions M, celle à cinq dimensions M
, et le rayon des dimensions enroulées R. Dans cette étude le volume des dimensions supplémentaires est censé être un tore.
On sait que M est de l’ordre de
GeV. Pour le cas le plus optimiste il est décidé que M
est environ égal à 1 TeV. Cet ordre de grandeur est préférable puisque c’est à cette échelle que la gravité devient forte dans l’espace. Avec ces valeurs on trouve les valeurs suivantes pour R:
m, 1 mm, 10 nm et 10 fm pour n = 1, 2, 4 et 6 respectivement.
Par la suite, l’expérience tendra à rechercher une limite haute pour la valeur de M selon le nombre de dimensions supplémentaires. Puis grâce à cette limite, il pourra être déduit le rayon du tore en fonction de n.
Les diagrammes de Feynman d’une production de gravitons dans une collision protons-antiprotons sont les suivants (figure 15):
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Les interactions des gravitons KK peuvent alors être observées soit par émission directe ou soit par échange virtuel dans les processus normaux du modèle standard. Étant donné que les gravitons passent au travers du détecteur sans interagir ou même se désintégrer les évènements recherchés sont donc des évènements à grande énergie transverse manquante. De plus, les quarks et gluons formés vont, eux, se désintégrer et former des jets de particules hadroniques. La signature des évènements recherchés a maintenant été définie.
Les événements retenus lors du tri des données sont donc une large énergie transverse manquante ainsi qu’un ou deux jets de particules très énergétiques. On obtient le graphe de la figure 16.
On voit sur ce diagramme le nombre d’évènements obtenus après les coupures nécessaires en fonction de l’énergie transverse manquante. Un point positif est que les observations sont en accord avec la prédiction du modèle standard. Cependant, le nombre d’évènements diminue lorsque l’énergie transverse manquante augmente. Ceci fait perdre de l’information quant au type d’évènements qui nous intéresse.
Néanmoins, il est possible d’obtenir, grâce à une méthode Monte Carlo, une limite supérieure du nombre d’évènements de signal, c'est-à-dire de production de gravitons KK. Cette limite est fixée à 62 évènements. Il est à présent possible de trouver une limite pour l’énergie de Planck M en fonction du nombre de dimensions supplémentaires. En effet, le nombre d’évènements signal pour chaque dimension étant connu il est possible de les comparer avec la limite obtenue précédemment. Le graphique suivant (figure 17), permet de confirmer que l’énergie de Planck effective est inférieure à 1 Tev, 0.77 TeV et 0.71 TeV pour n = 2,4 et 6 respectivement.
Avec ces valeurs de M, on trouve immédiatement les limites associées au rayon des dimensions supplémentaires compactées, à savoir: R < 48 mm, 0.014 nm et 42 fm pour n = 2, 4 et 6 respectivement. On peut également préciser qu’une expérience similaire a été menée à l’expérience D0. Les résultats trouvés pour la limite supérieure de M
sont cohérents avec ceux trouvés dans cette expérience.
Dans cette section, on développera l’intérêt qu’une théorie comme celle de Kaluza-Klein représente dans la recherche de particules pouvant être des candidates à la matière noire.
Tout d’abord, on rappellera brièvement ce qu’est la matière noire et pourquoi les particules censées représenter cette matière ne peuvent faire partie du modèle standard. Ensuite, on expliquera dans quelle mesure les particules KK peuvent être une bonne piste à suivre pour trouver de quoi est formée la matière noire. Enfin, on se concentrera sur les expériences mises en jeu pour mettre en évidence de la matière noire KK et l’on détaillera les différents types de recherches qui existent dans ce but.
La matière noire est une sorte de matière jusqu’à présent supposée, pour expliquer, entre autres, la masse des galaxies. Elle composerait environ 22% de la densité énergétique de l’Univers, soit cinq fois plus que la matière connue.
La composition de cette matière hypothétique reste à ce jour inconnue. Cependant, il est connu, grâce à certaines observations, que la matière noire est de nature non baryonique ce qui implique qu’elle ne peut pas être constituée de particules connues du Modèle Standard. Les particules exotiques qui pourraient faire partie de la matière noire sont appelées WIMPs (weakly interacting massive particle). Parmi ces dernières, on peut compter des partenaires supersymétriques tels que le neutralino, mais également des particules issues des modes Kaluza-Klein.
La théorie des dimensions supplémentaires UED (Universal Extra Dimension) propose une WIMP s’appelant Kaluza-Klein Dark Matter (KKDM). Les paramètres de cette théorie impliquent des changements en ce qui concerne la nature de KKDM, mais les observations cosmiques ou encore certaines données de collisionneurs peuvent indiquer certaines propriétés de cette particule.
Si on suppose que les particules de premier mode KK ont toutes la même masse à cause de la brisure de symétrie électrofaible, on peut dire que les masses des particules du Modèle Standard sont alors négligeables. Les sections efficaces de chaque processus sont alors trouvées de façon ordinaire. À partir de maintenant, on choisit de montrer quels peuvent être les résultats obtenus pour deux particules KK particulières, à savoir le photon KK, noté B(1) et le neutrino KK, noté (1).
Lorsqu’on suppose que les autres particules du modèle ont des masses qui ne contribuent pas, alors avec la section efficace on trouve que la limite sur la masse de B(1) est:
[GeV].
En ce qui concerne la particule (1), il existe trois annihilations possibles. En effet, on suppose que
(1) existe en égale quantité par rapport à son anti particule. Il y a donc
(1) qui peut s’annihiler tout comme sont anti partenaire, mais
(1) peut s’annihiler avec son anti partenaire également. D’où les trois annihilations différentes. Dans ce cas, on trouve une limite sur la masse qui est:
[TeV]. Ce calcul a été effectué sans tenir compte des trois saveurs possibles que peut posséder
(1). Si on en tient compte à présent la limite sur la masse est modifiée et on obtient
[GeV].
Il faut également préciser que dans les résultats précédents, il était supposé que la masse de la LKP était très différente de celle des autres particules de premier mode KK. Toutefois, il peut s’avérer que ce n’est pas le cas. En de telles circonstances, les particules de premier mode KK pourraient se désintégrer en LKP. La limite de la masse en serait modifiée, car la section efficace ne serait plus la même. Notons que la différence de région de masse est d’autant plus grande que les masses des particules de premier mode KK sont proches de celle de la LKP. Lorsque cette différence est supérieure à 10% alors les résultats précédents restent cohérents.
Nous avons à présent une idée de l’ordre de grandeur de la masse de la LKP. En prenant en compte les scénarios possibles de KKDM ainsi que les observations cosmologiques, la masse de la LKP autorisée devrait se situer entre quelques centaines de GeV et quelques TeV. Avoir une idée de la masse de la particule que l’on recherche est un point essentiel puisqu’elle permet de savoir dans quel domaine d’énergie il va falloir travailler pour avoir une chance d’observer ladite particule. Afin de mettre en évidence une particule du modèle UED, il existe trois types de recherches:
Cette dernière semble, à l’heure actuelle, peu prometteuse. En effet pour pouvoir créer des particules aussi massives que les LKP il faudrait une énergie de collision au centre de masse gigantesque. Les énergies atteintes pour le moment ne sont pas suffisantes. Dans un futur assez proche, le LHC au CERN devrait atteindre son énergie maximum au centre de masse, soit 14 TeV disponibles. Cette énergie serait suffisante pour produire des LKP, mais reconnaitre ensuite de telles particules seulement en observant les produits de leurs désintégrations pourrait s’avérer très complexe.
Ici encore on va exposer quelques résultats obtenus pour les particules B(1) et (1). Pour représenter les interactions entre les vents de matière noire composés de particules B(1) et la matière, on propose les trois diagrammes de Feynman suivants (figure 19):
Deux expériences du laboratoire Gran Sasso en Italie proposent des résultats pour la masse de B(1). Ces deux expériences sont LIBRA et DAMA. LIBRA fonctionne avec un détecteur formé de 250 kg de NaI. Quant à DAMA elle utilise également un détecteur au NaI mais d’un poids de 100 kg.
Les évènements retenus pour la masse de la LKP ne prennent en compte que des LKP ayant une énergie minimum de 20 keV. Les résultats pour la masse sont représentés dans le graphique de la figure 20. On notera le nombre peu élevé d’événements.
D’autres expériences similaires existent, mais utilisent des détecteurs composés de matériaux différents. On peut citer, par exemple, GENIUS (100 kg Ge) ou encore MAJORANA (500 kg composés de différents types d’isotopes du Germanium) et enfin GENIUS II (104 kg de Ge
). Ces trois expériences utiliseront des évènements dont la LKP aura une énergie d’au moins 11 keV, ce qui est moins que pour les expériences LIBRA et DAMA. On est donc en droit de s’attendre à plus d’évènements à traiter. Ce qui est bien le cas aux vues du graphique de la figure 21. On note que le nombre d’évènements pour les masses faibles de B(1) est toujours plus élevé, pour toutes les expériences.
Dans le cas où la LKP serait (1) il n’y a qu’un seul diagramme de Feynman au premier ordre (figure 22). Le calcul de la section efficace de ce processus mène à un taux d’évènements attendus plus élevé que pour la particule B(1).
Cependant les expériences CDMS et EDELWEISS qui travaillent sur ce projet ne détectent aucune interaction entre la matière et
(1).
Le fait de ne pas observer d’interactions apporte une limite sur la masse de
(1) qui est:
< 50 TeV. Cette valeur dépasse largement le spectre qui était attendu pour
que l’on a montré précédemment. Ceci a pour conséquence directe que la particule B(1) est privilégiée comme candidate WIMP de la théorie UED.
Bien que l’observation directe des interactions entre matière noire et matière ordinaire soit parfaitement acceptable en théorie, il n’en reste pas moins qu’elle est difficile à mettre en pratique. En effet, le nombre d’évènements pouvant être utilisés est très bas (quelques dizaines par année). De plus, les détecteurs nécessaires à ces observations doivent avoir des masses conséquentes et en raison du nombre d’évènements rares pouvoir durer longtemps. De plus, comme le signal est très faible, le bruit de fond doit pouvoir être minime, ce qui n’est pas tout le temps le cas. Ainsi c’est pour cette raison qu’il existe également des mises en évidence de la matière noire par des observations indirectes.
Pour B(1) étant la LKP on obtient les produits de désintégrations suivants:
L’observation des positrons pourrait être un bon point pour obtenir la masse de B(1) puisqu’il s’agit d’un de ces produits de désintégrations. On suppose que le spectre en énergie des positrons devrait être piqué aux alentours de la masse de la LKP. Voici un exemple de prédiction pour le spectre en énergie des positrons issus de LKP selon la masse de LKP (figure 23).
Il serait également possible d’étudier les neutrinos issus des LKP. Cependant, leur faible interaction avec la matière rend leur détection difficile. Une autre possibilité serait d’observer les rayons gamma provenant des régions lointaines de l’univers. Ces rayons sont issus de la désintégration de pions, étant eux-mêmes le fruit de l’hadronisation des produits de l’annihilation de B(1). Cependant certaines expériences, comme par exemple EGRET ont collecté des données qui mettent en évidence un surplus de rayons gamma provenant d’un espace proche du centre de la galaxie. Ces données seraient incompatibles avec le fait que des LKP puissent être de bonnes candidates à la matière noire. Cependant, l’interprétation de ces résultats reste très obscure.
On a montré que la théorie UED, basée sur la théorie de Kaluza-Klein permettait de donner une solution au mystère que représente la matière noire. Cependant bien que la théorie soit bien établie, les preuves expérimentales qui devraient la corroborer sont difficiles à mettre en place. Le fait de rechercher de la matière inconnue est un obstacle de taille. De plus, la masse élevée des particules recherchées rend le défi encore plus grand. La théorie UED reste donc à démontrer puisque certains résultats tendent à la confirmer alors que d’autres limitent sa véracité. Cependant, le problème de la matière noire semble ne pas pouvoir se résoudre de si tôt.
Au travers de la section précédente, on a exposé plusieurs expériences touchant de près ou de plus loin la théorie de Kaluza-Klein. Il est passionnant de voir à quel point cette théorie basée sur l’unification de la gravitation et de l’électromagnétisme grâce à l’ajout de dimensions supplémentaires a pu être précurseur d’autres théories allant jusqu’à l’explication de la matière noire.
De plus, le fait que certaines des expériences menées sur la théorie de Kaluza-Klein datent des années 2000 alors que cette théorie a été mise en lumière dans les années 1920 montre à quel point le thème de l’unification des forces est toujours central en physique.
Dans l’avenir avec des collisionneurs plus puissants et donc une possibilité de sonder la matière plus en profondeur, peut-être sera-t-il possible de lever un peu plus le voile sur ce grand mystère qu’est l’unification des forces.
Vincent Méthot 2013-05-01