Le mécanisme de Higgs et le boson auquel il donne naissance peuvent être compris élégamment en utilisant un formalisme mathématique assez complexe qui consiste à considérer la théorie électrofaible comme une théorie de jauge qui présente une brisure spontanée de symétrie à basse énergie. Il est donc important de s’approprier quelques notions de base en théorie quantique des champs, en théorie des groupes et de bien comprendre le principe de symétrie de jauge qui est à la base des théories de jauge. Une présentation très brève et très simplifiée des éléments de ces théories qui sont nécessaires plus tard est donc présentée ici.
La théorie quantique des champs est une théorie à la fois quantique et relativiste qui permet, comme la mécanique classique ou la mécanique quantique, de traiter les phénomènes physiques. Selon la théorie quantique des champs, les particules et leurs interactions peuvent être décrites en terme de champs quantiques, qui sont analogues aux champs qu’on connaissait déjà en physique classique. Ce sont des objets mathématiques qui dépendent à la fois de la position dans l’espace et du temps. Il faut cependant tenir compte de la quantification de l’énergie de ces champs. Ainsi, un champ peut être dans son état fondamental ou dans un de ses états excités selon sa fréquence d’oscillation. L’état fondamental d’un champ correspond au vide, tandis que les particules peuvent être interprétées comme une excitation du champ qui leur est associé, ce sont des quanta du champ.
De façon simpliste, en QFT, on peut donc visualiser une réaction dans laquelle deux particules (fermion ou boson) se transforment en une seule comme un passage des champs des deux premières d’un état excité à leur niveau fondamental pendant que le champ du troisième a fait l’inverse.
En QFT, on
utilise un formalisme lagrangien analogue à celui développé en mécanique
classique. On peut donc décrire tous les systèmes par une densité
lagrangienne de la forme
. Cette densité comporte une portion cinétique, qui (grossièrement) décrit
la propagation et la masse des particules, ainsi qu’une portion potentielle,
qui décrit les interactions que la particule a avec elle-même et avec les
autres. Par abus de langage, on appelle souvent la densité lagrangienne le
lagrangien. Cette représentation est très utile en QFT, qui est une théorie
relativiste, car les lagrangiens sont des invariants de Lorentz.
Ici, les lagrangiens ne seront pas dérivés explicitement. On se contentera de donner la forme de ceux qui sont utiles et de faire une interprétation physique des principaux termes. Cependant, la forme de ces lagrangiens doivent remplir plusieurs conditions. Les lagrangiens doivent en particulier avoir une forme qui permette à la théorie d’être renormalisable. Le concept de renormalisation est un processus compliqué dont les détails dépassent les intentions de ce travail. Par contre, sans entrer dans les détails, mentionnons que les corrections dites radiatives qu’il est nécessaire d’apporter pour considérer les interactions complexes entre les particules nécessitent le calcul d’intégrales qui sont souvent divergentes. La renormalisation est le processus par lequel on extrait des résultats non infinis, ce qui permet de faire des prédictions physiques à partir d’une théorie. Mentionnons au passage que la première théorie visant à décrire les interactions faibles, la théorie de Fermi, n’est pas une théorie renormalisable, tandis que la théorie électrofaible présentée dans ce travail l’est. Comme nous le verrons plus loin, la théorie de Fermi décrit tout avec une bonne précision les interactions faibles à basse énergie.
La théorie des groupes est une branche des mathématiques qui étudie les groupes, des objets mathématiques qui comprennent un ensemble d’éléments et une règle de composition. La théorie des groupes a une grande importance en physique des particules, notamment dans le modèle standard.
Les groupes importants pour traiter de la théorie électrofaible sont les groupes de Lie, qui comprennent les transformations unitaires de la forme :
où Ta
sont appelés les générateurs du groupe.
Le groupe le plus simple est U(1), sur lequel est basé QED, qui comprend les transformation de la forme
U=eiH où H, le seul générateur, est un paramètre scalaire réel.
Le groupe U(1) est abélien, c’est-à-dire que les éléments qui en font partie sont commutatifs. L’autre groupe important pour la théorie électrofaible est SU(2). Ce groupe possède 3 générateurs. Tout élément de SU(2) peut donc s’écrire comme :
où Ta=1/2τa
avec τa, a=1,2,3 les matrices de Pauli
La représentation irréductible de SU(2) est un vecteur colonne à 2 composantes appelé « doublet ». Le groupe SU(2) n’est pas abélien, en général les transformations de ce groupe ne sont pas commutatives.
En physique, plusieurs théories se basent explicitement sur des symétries. Une symétrie implique que les équations du mouvement sont invariantes sous une transformation donnée. Le Théorème de Noether permet d’associer chaque symétrie à la conservation d’une quantité donnée. Par exemple, si un système est invariant sous rotation, alors l’opérateur de moment cinétique total est conservé.
La théorie électrofaible et QED sont des théories de jauge. La plupart des lagrangiens qui décrivent des systèmes physiques sont invariants sous des transformations de jauge dites « globales ». Le terme global implique que la transformation qui est faite est la même peu importe la position dans l’espace et dans le temps. On dit alors que ces systèmes ont une symétrie globale. Les théories de jauge sont une extension de cette idée. Il s’agit d’exiger que le lagrangien de toutes les particules libres soit invariant sous une transformation de jauge qui est maintenant dite « locale ». Cela implique que les transformations de jauge faites dans une partie de l’espace temps n’affectent pas ce qui se passe dans les autres régions. C’est cette exigence qui entraîne l’apparition de terme dans les lagrangiens qui décrivent les interactions entre les particules.
Ainsi, QED est basé sur l’invariance de jauge du groupe U(1) tandis que la théorie électrofaible est basée plutôt sur l’invariance de jauge du groupe SUL(2)xUY(1).
En QED, les
champs de matière associés aux fermions ayant une charge électrique sont des
spineurs à 4 composantes :
Les spineurs
sont en quelque sorte l’analogue en QFT de la fonction d’onde en mécanique
quantique. Deux des degrés de
liberté représentent les états ±½ de la particule et les deux autres les états
±½ de l’antiparticule. Il est nécessaire d’introduire l’objet suivant :
où
matrices 4X4 de Dirac.
Puisque Uem(1)
n’a qu’un seul générateur, QED implique un seul champ de jauge,
, un champ vectoriel qui représente le photon.
Pour chaque
fermion libre, le lagrangien a la forme :
Le premier terme du lagrangien décrit la propagation du fermion, tandis que le second terme a la forme typique d’un terme de sa masse. Il n’y a pas de portion potentielle à ce lagrangien pour l’instant car il s’agit d’un fermion libre.
Le lagrangien pour le champ de jauge, ici le photon, a pour sa part la forme suivante :
avec
Où
sont les champs électriques et
magnétiques.
Une
transformation de jauge locale pour le groupe Uem(1) implique une
transformation des spineurs de la forme :
, accompagnée d’une transformation du champ du photon de la forme :
Si on applique la transformation de jauge sur le lagrangien du fermion libre, on réalise que ce dernier n’est pas invariant. En effet,
Afin de rendre
ce lagrangien invariant, il faut remplacer la dérivée partielle
par une dérivée covariante, qui peut être interprétée comme la généralisation
de la dérivée partielle. Dans le cas présent, elle a la forme suivante :
Avec cette
transformation, le lagrangien devient:
Un terme
s’est ajouté au lagrangien représentant le fermion libre. Ce terme, qui dépend
de
et de Aμ, représente
l’interaction entre le fermion et le photon.
Le lagrangien du photon libre est pour sa part invariant. Cependant, il est intéressant de noter que s’il contenait un terme de masse, ce dernier briserait la symétrie. En effet :
Une autre remarque importante est que le terme d’interaction comprend
la charge électrique q du fermion. En fait, la force d’une l’interaction
est quantifiée par un couplage α. Le couplage électromagnétisme est
proportionnel à la charge q2 et est donné par:
On dit alors que la charge est la constante de couplage associée à l’interaction électromagnétique. L’invariance de jauge locale du groupe Uem(1) implique la conservation du nombre quantique associé à ce groupe, la charge électrique Q.