LA CHROMODYNAMIQUE QUANTIQUE
La chromodynamique quantique (QCD: Quantum Chromodynamics), partie intégrante du Modèle Standard des particules
élémentaires et de leurs interactions (Standard Model), est la théorie qui permet de décrire l'interaction forte. Elle
est construite similairement à l'Électrodynamique Quantique (QED: Quantum Electrodynamics) en construisant un Lagrangien
invariant sous une transformation globale d'un groupe de symétrie particulier et répondant au principe d'invariance de
jauge. Avant de construire ce Lagrangien nous motiverons le choix du groupe de symétrie SU(3) pour décrire
l'interaction forte et étudierons brièvement le modèle des quarks. Puis nous nous attarderons à la théorie de la
chromodynamique quantique sur réseau.
1 Le modèle des Quarks
Les centaines de particules découvertes à ce jour dans les différents accéléra-
teurs et dans le rayonnement cosmique ont
mené à la recherche d'une structure sous-jacente qui permettrait d'expliquer leur diversité. Ces recherches ont abouti
au modèle des quarks, particules élémentaires de spin ±1/2 et de charge électrique fractionnaire, qui permet de
générer l'entièreté du spectre des hadrons observés à ce jour. Les six quarks nécessaires sont listés au tableau 1 ainsi
que leurs propriétés respectives. Ces différents quarks (q), ainsi que leurs antiparticules ( q), se combinent
entre eux d'une part en groupes de trois pour générer les baryons (qqq) et antibaryons ( q q q) listés
au tableau 2; d'autre part, en groupes de deux pour générer les mésons (q q), listés au tableau 3.
Quarks |
Saveur |
Masse en GeV/c2 |
Charge électrique |
u up |
0.003 |
2/3 |
d down |
0.006 |
-1/3 |
c charmé |
1.3 |
2/3 |
s étrange |
0.1 |
-1/3 |
t top |
175 |
2/3 |
b bottom |
4.3 |
-1/3 |
Table 1 : Les six quarks et leurs caractéristiques
Baryons qqq et anti-baryons q q q |
Symbole |
Nom |
Composition |
Charge électrique |
Masse en GeV/c2 |
Spin |
p |
proton |
uud |
1 |
0.938 |
1/2 |
p |
anti-proton |
u u d |
-1 |
0.938 |
1/2 |
n |
neutron |
udd |
0 |
0.940 |
1/2 |
Λ |
lambda |
uds |
0 |
1.116 |
1/2 |
Ω- |
omega |
sss |
-1 |
1.672 |
3/2 |
Table 2 : Cinq des quelques 120 types de baryons et leurs caractéristiques
Mésons q q |
Symbole |
Nom |
Composition |
Charge électrique |
Masse en GeV/c2 |
Spin |
π+ |
pion |
u d |
1 |
0.140 |
0 |
K- |
kaon |
s u |
-1 |
0.494 |
0 |
ρ+ |
rho |
u d |
1 |
0.770 |
1 |
B0 |
B-zero |
d b |
0 |
5.279 |
0 |
ηc |
eta-c |
c c |
0 |
2.980 |
0 |
Table 3 : Cinq des quelques 140 types de mésons et leurs caractéristiques
Cependant, ce simpliste modèle phénoménologique des quarks en arrive à des contradictions : certains de ses constituants
doivent obéir à la fois à la statistique de Fermi-Dirac et de Bose-Einstein. Il faut alors introduire un nouveau nombre
quantique α dénommé la couleur. En introduisant ce nombre, qui peut prendre 3 valeurs (α = 1,2,3 ; ou plus
poétiquement rouge, jaune et violet), on peut réinterpréter les fonctions d'onde de certaines particules comme étant
asymétriques de manière à laisser le champ libre à la statistique de Fermi-Dirac.
De plus, en se fiant aux résultats expérimentaux, un impératif nommé l'hypothèse du confinement devient
nécessaire. En
effet, jamais la couleur n'a été observée. On doit donc requérir que tous les états liés observables de quarks soient
sans couleur (ou de « couleur » blanche). Ceci implique évidemment que l'observation d'un quark isolé est impossible puisque
ce dernier est le porteur d'une charge de couleur.
Pour Q.E.D, l'expérience montre que la force de couplage est forte pour les quantités de mouvement élévées et devient
faible pour des quantités de mouvement faibles. Cependant, les expériences SLAC-MIT sur la diffusion des électrons par
des protons (e- p → e- p) amènent Bjorken et Feynman à énoncer le modèle simple des partons, qui assume
simplement que le proton est un assemblage faiblement lié de petites particules. Ces particules sont dénommées les
partons et comprennent les quarks, antiquarks et potentiellement tout ce qui pourrait également se retrouver à
l'intérieur d'un proton. Ce modèle amène Bjorken à énoncer, que peu importe l'angle de déviation de l'électron, donc
l'énergie du photon d'interaction, la structure du proton reste apparemment identique. Cette conclusion permet de
supposer un comportement dénommé liberté asymptotique : la constante de couplage de l'interaction forte, à
l'inverse de
celle de l'interaction électromagnétique, est faible pour les quantités de mouvement élévées ou les laps de temps courts
et devient forte pour des quantités de mouvement faibles ou les laps de temps longs. Les quarks sont donc liés par une
force faible à courte distance, mais qui augmente en fonction de la distance, ce qui est compatible avec l'hypothèse du
confinement.
2 Le choix d'un groupe de Lie
Ces considérations sur la nature des quarks nous amènent maintenant à choisir un groupe de Lie, qui agira comme groupe de
transformation à l'intérieur de notre théorie de champs quantiques de l'interaction forte. Les conditions qu'il doit
respecter sont résumées ici:
-
1 - La couleur doit être une symétrie exacte.
- 2 - Il y a trois couleurs possible : α = 1,2,3.
- 3 - Les antiquarks sont différent des quarks, se qui implique que q* ≢ q.
- 4 - Les quarks se conforme à l'hypothèse du confinement.
- 5 - L'interaction forte se comporte conformément à la liberté asymptotique.
Seulement deux groupes de Lie non isomorphique entre eux ont une représenta-
tion tridimensionnelle irréductible :
SU(3) et SO(3). Or, SO(3) est un groupe réel alors que la condition no.3 implique des matrices de transformation
complexes. Le seul candidat acceptable parmi les groupes non abéliens reste donc SU(3). Il est à noter que Gell-Mann
et Ne'eman avaient déjà montré que les particules élémentaires remplissaient des représentations irréductibles de ce
groupe de symétrie.
À cette symétrie est associée une invariance des lois de la physique sous une transformation globale non abélienne :
ψ ' = exp(iαi ⋅ λ/2)ψ
(1)
dans laquelle αi(i=1,2,3,...,8) sont les paramètres de la matrice SU(3). En suivant le principe
d'invariance de jauge, on peut alors postuler que les interactions des quarks sous soumises à une invariance de jauge
locale sous SU(3).
3 Le Lagrangien de QCD
Il faut maintenant construire un Lagrangien qui correspond à ce modèle. Commençons par écrire le Lq, le Lagrangien
qui décrit la propagation libre des quarks :
Lq(x) = |
|
|
( |
|
ψ
qk(x)(i∂uγu-mq)ψqk(x) |
) |
(2) |
Or, ce Lagrangien n'est pas invariant sous l'action d'une transformation de jauge appartenant à SU(3), telle que
ψqi(x) → ψ′qi(x) = Uki(x)ψqk(x)
(3)
dans laquelle la matrice de transformation Uki(x) correspond à:
Uki(x) = exp |
( |
-i |
|
χa(x) |
|
|
) |
(4) |
Les λa(a=1,2,3...,8) correspondent ici aux huit matrices de Gell-Man, génératrice du groupe SU(3). Il faut
donc
ajouter un terme compensateur qui va annuler l'apparition du terme en ∂χa(x) lors de l'application d'une
transformation :
Lq(x) → Lq(x) + |
|
ψqi(x) |
[ |
iUk† i(x)∂µUjk(x)
|
] |
γµψqj(x)
(5) |
Pour que le Lagrangien respecte l'invariance de jauge, il faut introduire, suivant les idées avancées par Yang-Mills,
huit champs de spin-1 interagissant avec les champs de quarks correspondant aux huit matrices de Gell-Mann. Les
médiateurs d'interaction seront donc huit particules similaires au photon (le médiateur de l'interaction dans QED) : les
gluons. On doit donc ajouter un terme d'interaction quark-gluon au Lagrangien
Lq(x) = |
|
|
( |
gsψqi(x) |
|
γµψqk(x)Aµa(x) |
|
ψqk(x)(i∂uγu-mq)ψqk(x)
|
) |
(6) |
dans lequel gs est la constante de couplage analogue à e dans QED. Ce second terme est également invariant
sous une transformation faisant intervenir SU(3).Cependant, contrairement à ce qui se passe avec les photons dans QED,
les gluons qui sont les médiateurs de l'interaction, interagissent entre eux, et on doit en tenir compte en ajoutant un
troisième et dernier terme également invariant sous SU(3):Lgluons à notre Lagrangien:
Lgluons(x)=- |
|
Gµ va(x)Gaµ v(x),
(7) |
où:
Gµ va=
∂µAva-
∂vAµa+ gsfabcAµbAvc
(8)
Pour en arriver au Lagrangien complet :
LQCD= |
|
|
( |
gsψqi(x) |
|
γµψqk(x)Aµa(x) |
|
ψqk(x)(i∂uγu-mq)ψqk(x) |
) |
- |
|
Gµ va(x)Gaµ v(x)
(9) |
On peut maintenant être certain que ce Lagrangien LQCD reste invariant sous une transformation
appartenant au groupe SU(3)c. On peut maintenant, grâce à ce Lagrangien, calculer les vertex et les propagateurs
des quarks et des gluons, ceux-ci sont regroupés au tableau 4.
Propagateur du quartz |
〈 0|T{ψqi(x)ψqk(0)}|0〉=iδki∫d4p(
pαγα+mq /p2-mq2) e-ipx |
Propagateur du gluon |
〈 0|T{ Aµa(x)Avb(0) }|0〉= -iδab∫d4 k gµ v/k2
eikx |
Vertex quark-gluon |
gs ψq(x)γµλa/2ψq(x)Aa µ(x) |
Vertex 3-gluons |
-gs/2fabc[∂µAva(x)-∂vAµa(x)]
Abµ(x)Acv(x) |
Vertex 4-gluons |
-gs2/2fabcfadeAµb(x)Avc(x)Adµ(x)Aev(x) |
Table 4 : Les vertex et les propagateurs dans QCD
Ces propagateurs et ces vertex peuvent maintenant nous servir à construire des diagrammes de Feynman. Nous avons
cependant besoin de déterminer auparavant la constante de couplage entre les gluons et les quarks.
4 La constante de couplage α
Un problème survient cependant: pour calculer la constante de couplage nous devons avant renormaliser notre théorie
de champs non abélienne, ce qui cause un problème. En effet, des boucles fermées d'interaction de gluons causent des
problèmes de divergence. Le calcul de ce groupe de renormalisation dépasse largement la portée de ce travail, cependant
le résultat en est connu.
On obtient la constante de couplage effective au premier ordre:
αseff(Q)≡ α-s |
( |
1- |
|
( |
β0log |
|
+ cte
|
) |
|
) |
(11) |
En calculant cette constante à une autre échelle Q=Q0, et en prenant le rapport α(Q)/α(Q0) , on obtient après l'application d'un groupe de renormalisation la
constante de « running coupling» :
L'analyse de la structure de l'équation 12 nous permet de trouver un régime où la constante αs sera
suffisamment petite pour qu'il soit possible de faire des calculs grâce à QCD en utilisant la théorie des perturbations
qui requiert que α « 1. De plus, on remarque que ces résultats ne seront valides que dans la limite d'énergie
considérée qui est délimitée par Q0.
On peut calculer la constante de couplage à des ordres supérieurs, ce qui est important à l'intérieur de QCD étant
donné la force de la constante de couplage aux énergies intéressantes. On obtient alors:
αs(µ2)= αs(µ02) |
( |
1- |
|
ln |
( |
µ2/µ02
|
) |
- |
|
ln |
( |
µ2/µ02 |
) |
+... |
) |
(13) |
Ces formules de détermination de la constante de couplage nous permettent de vérifier facilement que lorsque µ
augmente, la constante de couplage diminue, ce qui amène à confirmer notre hypothèse de liberté asymptotique. En ce
qui concerne l'hypothèse du confinement des quarks, le développement actuel de la théorie ne permet pas de la
démontrer formellement. Cependant, des calculs perturbatifs poussés, basés sur la théorie de QCD, sur réseau la
supportent.
5 QCD sur réseau
À de grandes distances (c'est à dire à de faibles échelles), il devient impossible d'utiliser la théorie pertubative pour
parvenir à des résultats. En effet, les interactions entre les quarks et les gluons sont trop fortes et l'approche
perturbative ne peut fonctionner. Cependant, Wilson, en 1974, propose la théorie de jauge sur réseau (Latice Gauge
Theory) qui utilise l'intégrale de chemin de Feynman.
Son utilisation dans le cadre de QCD mène à la chromodynamique quantique sur réseau (LQCD: Lattice Quantum
Chromodynamique). Cette approximation correspond à la formulation de QCD sur une grille d'espace-temps discrétisé. Les
seuls paramètres fixés expérimentalement par la théorie sont la force de la constante de couplage et la masse
de cinq des six quarks (le quark top est ignoré étant donné sa durée de vie trop courte).
La méthode utilisée est la suivante: après avoir discétisé l'espace-temps, on pose la fonction de partition dans cet
espace :
S= |
∫d4x(1/4Fµ vFµ v - ψ Mψ)
(15) |
Dans laquelle S est l'action de QCD et M est l'opérateur de Dirac. En effectuant l'intégration, on obtient :
Z= |
∫DAµdetM e∫d4x(1/4Fµ vFµ v )
(16) |
Cette représentation analytique permet de laisser toute la contribution fermionique dans le terme global detM . On
peut alors utiliser une approche approximative qui consiste à fixer M=constante, ce qui revient à ne pas tenir
compte de l'effet de la polarisation du vide sur les boucles de quarks.
On peut alors calculer les observables redéfinie en terme de propagateurs de quarks :
Cependant < O > est simplement une moyenne des fonctions de corrélation évaluées statistiquement sur
un grand nombre des valeurs du champ fermionique et gluonique en chaque point du réseau. Ce calcul se doit d'être
statistique étant donné que ces champs sont continus en chaque noeud du réseau discrétisé et il est effectué grâce à
des simulations de type Monte-Carlo.
6 Résumé
La chromodynamique quantique reste une théorie dont la capacité de résoudre des problèmes est très limitée, du moins
dans le domaine énergétique que les grands accélérateurs comptemporains nous permettent de sonder. En effet, le domaine
d'action de l'approche perturbative est limité au cas dans lequel la constante de couplage est faible. À l'intérieur
de QCD, cette plage d'énergie correspond, contrairement à QED, à un état dans lequel les quarks sont près les uns des
autres. Or, les accélérateurs comptemporains ne permettent que d'observer les états dans lesquels les quarks sont
éloignés les uns des autres.
Certaines prédictions peuvent être faites dans cette plage d'énergie grâce à la chromodynamique quantique sur réseau,
mais il s'agit d'un domaine d'étude encore jeune faisant appel à de nombreuses approximations. Ce processus est de plus
très intensif en calcul informatisé et est présentement limité par la puissance des ordinateurs disponibles.
Il est donc très difficile de mettre à l'épreuve la chromodynamique quantique. Cependant son pouvoir d'explication
qualitatif et/ou approximatif des phénomènes tel le confinement des quarks, et la liberté asymptotique tend à
confirmer cette théorie.